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Saint Dominique en Scandinavie

08.08.12

 Helge Erik SOLBERG (laïc Dominicain)

Adapté après une conférence le 14 octobre 2007 pour la Fraternité Laïque Dominicaine de La Sainte-Baume. La source principale de ma présentation était le livre d’un Dominicain Norvégien. Ce livre a maintenant été traduit en français: Per Bjorn Halvorsen, Saint Dominique : Du coeur aux frontières de l’Eglise (Ed. Cerf, Paris 2011).

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Dominique Guzman est né vers 1174 à Caleruega, une petite ville dans le royaume espagnol de Castille. Il faisait ses études primaires chez son oncle, qui était prêtre, et puis ses études secondaires et théologiques à Palencia. Entre 1196 et 1203 il était chanoine à Osma sous le prieur Diego, qui serait l’évêque d’Osma en 1201.

La première visite en Scandinavie

En mai 1203, le roi Alfons VIII de Castille est venu à Osma pour demander à Diego de trouver une épouse noble en Les Marches pour son fils Ferdinand, âgée de 13 ans. (Par l’expression « Les Marches » il faut comprendre ici la partie frontière au nord de la région germanique, c’est-à-dire la Scandinavie. On trouve la trace du mot « Marche » dans le nom de pays « Danemark ». « Marche » — l’ancienne expression pour une province frontière d’un État, est « mark » en les langues scandinaves.) Plus précisément, l’épouse désirée se trouvait au Danemark. Des mariages entre des nobles de la Scandinavie et ceux de la péninsule Ibérique n’étaient pas une nouvelle affaire à cette époque. Donc, la demande du roi Alfons n’était pas surprenante. En plus, comme le roi de Castille et le roi de Danemark — Valdemar II, surnommé « le Victorieux » — étaient tous prétendants au trône d’Angleterre, le plan de mariage avait ses raisons politiques.

Diego a choisi Dominique comme compagnon. Avec leur suite, ils sont partis en octobre 1203 et ils sont revenus après la visite au Danemark quatre mois et demi plus tard. Un voyage d’Osma à Roskilde, la ville du roi au Danemark — un voyage d’une distance d’environ 2500 km — était une grande affaire au moyen-âge. (Entre parenthèses, 2500 km, c’est la même distance qu’entre les deux maisons d’Elisabeth et moi en Norvège et en France. Un voyage que nous faisons en trois jours par voiture.) Comme nos deux ecclésiastiques étaient émissaires d’un roi, on ne peut pas s’imaginer qu’ils faisaient ce trajet à pied, ce qu’était l’habitude de Dominique plus tard, quand il voyageait entre les sites dominicains. Mais, comme a écrit Jourdain de Saxe dans son Libellus, le voyage était fatigant. Des historiens ont pu reconstruire l’itinéraire probable de Diego et son cortège:

Vers le nord: Osma => Lyon => Mulhouse => Strasbourg => Mainz => Frankfurt => Paderborn => Hannover => Regensburg => Odense => Roskilde.

Le retour: Roskilde => Lübeck => Lüneburg => Braunschweig => Würzburg => Augsburg => Inssbruck => Bolzano => Trento.

Une découverte importante pour Dominique se produisait en passant par le midi de France. Là, il a rencontré pour la première fois l’hérésie cathare. Pendant une courte halte à Toulouse, il a converti l’aubergiste cathare, mais la mission de Dominique en Languedoc était une affaire que se déroulait plus tard. Il fallait continuer au Nord.

Diego et Dominique ne séjournaient pas longtemps au Danemark. Selon Jourdain de Saxe, ils ont très vite obtenu le consentement de la fille noble, dont nous ne savons pas le nom avec certitude. Avant de retourner, il est probable qu’ils fêtaient Noël avec les évêques de Roskilde et Lund, les deux frères Peder et Anders Sunesen. (Peder = Pierre et Anders = André.)

Le deuxième voyage au Danemark

Probablement à cause de l’âge bas des deux nobles, la fille restait au Danemark pour le moment. Le roi Alfons cependant exigeait que Diego et Dominique aillent chercher la jeune noble plus tard. Il fallait donc reprendre le voyage entre octobre 1205 et avril 1206. Mais cette émission était sans le résultat souhaité. On ne sait pas pourquoi avec certitude. Quelques historiens ont l’opinion que la jeune femme était morte, d’autres pensent qu’elle avait pris le voile dans un monastère des Bénédictines.

Pendant leur deuxième séjour au Danemark, Diego et Dominique avaient certainement eu l’occasion de faire connaissance des plans du roi Valdemar « le Victorieux » et de l’archevêque de Lund, Anders Sunesen, de faire la croisade aux pays Baltes. Le dernier avait fait ses études aux meilleures universités de son temps, à Bologne, à Oxford et à Paris, où il lui-même enseignait la théologie pendant quelques années. Lund est maintenant une ville suédoise, mais à l’époque de Dominique, la région de Scanie (en langues scandinaves: « Skåne »), avec sa capitale Lund, appartenait au Danemark.

Depuis quelques dizaines d’années, les pays Baltes avaient attiré la convoitise des rois danois. Donc, une croisade dans cette région païenne avait surtout un intérêt politique pour le roi Valdemar. L’archevêque avait cependant l’ambition de continuer les tentatives sporadiques de christianiser les peuples baltes et mener ces tentatives à bonne fin. Le pape Alexandre III avait déjà promis une indulgence d’un an pour la participation d’une croisade balte. L’histoire très compliquée des pays Baltes à cette époque ne nous concerne pas maintenant. Remarquons-nous seulement que Valdemar a conquis la région qu’est aujourd’hui Estonie et que « Danebrog », le drapeau danois — rouge avec une croix blanche — était donné au roi dans une vision pendant cette guerre. Le nom Tallinn de la capitale d’Estonie signifie probablement « château danois » (ou « ville danoise »).

Diego et Dominique étaient très attirés de la possibilité de christianiser les païens Baltes, qu’on nommait parfois « cumans ». Cependant, le peuple de cumans — un peuple turcophone semi-nomade — n’habitait pas les pays Baltes. Ces tribus de l’Est s’étaient installées en Hongrie. Donc, nos deux ecclésiastiques se trompaient peut-être un peu de géographie. Une autre possibilité est qu’ils avaient rencontré les cumans pendant leur retour. Quoi qu’il en soit, au lieu d’aller directement en Espagne, Diego et Dominique faisaient route sur Rome pour demander au pape la permission d’évangéliser les cumans. Le pape ne donnait cependant pas cette permission, et les deux compagnons étaient obligés de retourner chez eux.

Ici je termine le récit de deux visites de Dominique en Scandinavie. Le reste de son histoire, qui se déroule en Midi français, à Paris, à Rome et à Bologne, vous est certainement connue.

L’établissement des Dominicains en Scandinavie

Les Dominicains se sont installés en Scandinavie très tôt après l’approbation de l’Ordre des Prêcheurs vers 1216. Dès 1217 Dominique discutait avec son ami Guillaume de Monteferrato — qui recevrait l’habit de Dominique à Paris en 1219 — la possibilité de faire la mission ensemble parmi les païens des « pays du Nord », probablement en pays Baltes. Mais Dominique est mort en 1221 avant d’accomplir ces plans.

Mais d’autres dominicains sont venus en Scandinavie avant la mort de Dominique. Dans une petite chronique, probablement écrit avant 1237, on peut lire ceci: « À Bologne, en l’an du Seigneur 1219, pendant la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge, deux chanoines, frère Simon de Suède et frère Nicolas de Lund au Danemark, étaient reçus dans l’Ordre. Le bienheureux Dominique les envoya premièrement à Sigtuna en Suède […] ». Le but était de fonder un couvent dominicain, mais ils n’avaient pas réussi. C’était un autre dominicain, frère Salomon du Danemark, qui a fondé le premier couvent en Scandinavie, à Lund en 1221. Donc, dès la mort de Dominique, les Dominicains s’étaient installés en Scandinavie. Frère Salomon était le prieur pour une communauté des dominicains, qui avaient étudié à Bologne et à Paris.

Après la fondation du couvent à Lund, d’autres couvents étaient fondés partout en Scandinavie. En 1310, il y avait 28 couvents au pays nordiques: 16 couvents au Danemark (le couvent à Tallin compris), 9 couvents en Suède (avec le couvent en Finlande, qui à cette époque était occupée par la Suède) et 3 en Norvège. À Oslo — à 25 km de notre maison en Norvège — les restes du couvent dominicain sont maintenant inclus dans la chapelle et la résidence de l’évêque luthérien d’Oslo (voir la photo des ruines et de la résidence).